jeudi 11 août 2016

La Grande Illusion

Avez-vous vu le film The Truman Show? 




Ce film tourne autour d'un  homme, Truman Burbank qui, depuis sa naissance fait l'objet d'une télé-réalité à son insu, il vit dans une ville créée de toutes pièces par la société de production de sa télé-réalité et n'a jamais réussi à en sortir. Toute sa vie n'est que fausseté, et son libre arbitre est occulté sous le pouvoir despotique du réalisateur de la téléréalité qui domine tout jusqu'au moindre grain de sable de la plage fictive. Une sorte de Big Brother donnant le tempo de la téléréalité du haut de ses 5000 yeux disposés dans la ville, faisant littéralement la pluie et le beau temps sur la ville calme et idyllique de Seaheaven. Tout est organisé, aseptisé, mesuré. Les rues sont d'une propreté nauséabonde, et les gens d'une gentillesse exubérante, Truman lui, est le seul à avoir un comportement "vrai" et "spontané", il est l'unique source de vérité dans un monde entièrement calculé et faux. Et c'est cette quête de spontanéité qui explique le succès de sa télé-réalité partout dans le monde. 




En regardant ce film, j'ai ressenti une sensation que je ressens habituellement lorsque je suis témoin d'une injustice extrême, d'une insupportable exaction ou d'un abus, comme si ce que je visionnais était véridique.
Pour moi le martyr de ce Truman condamné à divertir des millions de téléspectateurs avides d'innovations morbides était réel. Pour moi cette vie passée dans le mensonge le plus total était réelle. Cette vie imposée était réelle. 

Réels car aujourd'hui, en 2016, nous ne sommes pas très loin de ce genre d'expériences sans éthique. 
La course vers le nouveau, vers ce que l'on a pas encore osé essayé, vers le plus provocateur, le plus susceptible de rapporter de l'audience deviennent les seuls critères et sont prépondérant à toute sorte d'éthique et précipite le contenu de nos chères télés dans la vacuité, la futilité et l'ignorance.

On cherche à montrer ce qui doit se rapprocher de la réalité, m
ais qu'est-ce qu'un comportement spontané si tout notre environnement est conditionné par la suprématie de l'audience? 
Nous comme des moutons, ne nous rendons pas compte que tout ce qui se passe derrière l'écran est millimétré, calculé, prémédité, jusqu'à la dernière mèche d'une blonde botoxé et peroxydé, jusqu'à la dernière phrase idiote lancée par un candidat qui en apparence à arrêter les cours au CP, jusqu'à la dernière phrase culte de la candidate en déperdition d'un show dont les audiences sont en berne. On veux faire le buzz et ce voile de la réalité et de l'authentique, de la spontanéité organisatrice de ce microcosme mortifère sert à accentuer ce buzz. On est manipulée par ce semblant de réalité et on y croit, instrumentalisés par ces vies pleines de péripéties amusantes, or quand on est filmé on n'agit plus, on joue la comédie.



Bien que ce film soit sorti en 1998, je le trouve véritablement anticipateur. 
Anticipateur car aujourd'hui la télé-réalité a pris un rôle décisif dans nos vies. Nous moutons consommateurs, sommes captivés par ces émissions sensées montrées les vies fabuleuses de personnes en manque de reconnaissance. On attend impatiemment de voir cette télé-réalité filmant des rats coincés 24h sur 24 dans une boîte sans issues et devant cohabiter dans un climat de vacuité suprême, appelée aussi Secret Story. On est fascinés par la stupidité de ces Chtis ou Marseillais condamnés à tenir des rôles que la production leur a gentiment accordée. On est aveuglés par cette télé-réalité serbe trash, immorale et ultra violente nommée Parovi. Cette téléréalité m'interpelle le plus car la violence est banalisée au point de devenir la norme ultime, femmes battues, hommes défigurés, à chaque violence ou scène de sexe, les audiences grimpent et la production se frotte les mains.
Les participants de l'émission sont peu recommandables, parmi eux, un condamné pour crime contre l'humanité. Personne ne peux sortir de l'enclos téléréalitesque tant que la production ne donne pas son aval. Résultat, plusieurs participants ambitionnent à s'enfuir clandestinement, à la manière de Truman. Rares sont ceux qui réussissent et pour ceux qui échouent, ils subissent une sorte de punition matérialisée par des coups et violences délivrée par d'autres participants et commanditée par la production.
Ainsi, on privilégie le buzz, le show à la santé des participants, la fin qui est l'audience justifierait donc ces moyens ahurissants pour l'atteindre. Et d'autres téléréalités montrent un intérêt tout particulier pour la dangerosité.
Récemment en effet a été diffusée sur la télévision australienne une téléréalité où en Irak, les participants se retrouvaient au milieu d'un front de combat contre Daesh.
Insensé quand on sait que des personnes souffrent réellement de ce climat de terreur que les société de production utilisent sans scrupule pour toujours plus d'audience.

En somme, l'univers de la téléréalité est pour moi terrifiant, c'est la pire invention de ce siècle dans la mesure où elle nous fait rentrer dans une ère où l'ultra-surveillance est banalisée. De plus en plus de personnes souffrent de paranoïa, sont angoissées à l'idée d’être constamment surveillé et un nouveau syndrome psychologique est apparu, le syndrome de Truman (nommé en l'honneur du film) qui fait penser aux personnes atteintes qu'elles font elles aussi l'objet d'une téléréalité à leur insu. Bien avant d'avoir vu le film, je me souviens qu'à 10 ans j'avais eu la même angoisse, j'avais aussi peur d'être manipulée à mon insu et d'être l'objet d'une téléréalité. Donc à 10 ans des enfants peuvent se mettre à penser comme ça, c'est une preuve supplémentaire de la dérive de notre culte de la caméra. 

On entre dans une ère où tout doit être filmé, photographié, selfié, dans une ère où le faux est plus que jamais réalité.  en dehors de l'univers de la téléréalité, nous en avons intériorisé les codes, tout doit être dramatisé, joué. 
 Dans nos épisodes de tristesse nous nous devons de mimer le plus joli des sourires si on prend une photo. Aussi, on starifie nos vies, en partageant avec le plus grand nombre des éléments anodins de notre vie quotidienne, parfois ridicules. Ma séance de shopping de ce matin mérite d'être montré à tous, à la manière de Kim Kardashian, je publie des photos sur Insta, Fb et Snap, afin de montrer le grand  intérêt de ma vie si parfaite (keurkeur). On cherche à faire entrer le plus grand nombre en immersion dans nos vies parfaites où chaque esquisse que l'on envoie est préalablement vérifiée pour ne montrer que les facettes les plus plaisantes à voir. On se filme en train de manger des sushis (Oh miracle absolu!), en train de nager (Ohh exceptionnel), en train de balader son chien, en train de jouer avec un bébé, c'est une overdose de faux, une infection purulente d'imitation du vrai. On cherche par tous les moyens à se montrer, à se la jouer, et ce qui importe vraiment c'est le nombre de likes, l'audience toujours. 


La culture actuelle valorise ceux qui se conforment à elle de par leur comportement, ayons par conséquent le courage de nous opposer à ses normes dictatoriales et cultivons notre amour pour une vraie réalité ni filmée ni bradée. 


"La télévision abrutit les gens cultivés et cultive les gens qui mènent une vie abrutissante"
Umberto Eco











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