mardi 2 août 2016

C'est pas swag





Un jour de mai, je m'apprêtais à entrer en cours quand je vis autour de moi un véritable attroupement. Étant curieuse par nature, je décidais de m'approcher et je fus grandement désappointée par la cause de cette concentration impressionnante de personnes.
En fait, un élève de ma classe "accusait" un autre de porter une imitation de chaussures. Avec hargne et assurance, il répétait d'une voix forte que les chaussures en question étaient des contrefaçons pour le blâmer et pour que tout le monde puisse entendre les chefs d'accusation à son encontre et en apprécier la gravité. Donc, ce sont des chaussures, de simples chaussures. Voila la cause de cet attroupement de moutons qui bêlaient leur mécontentement au fur et à mesure que leur berger avançait dans son réquisitoire.
Quand j'ai demandé plus de renseignements, je fus horrifiée par ce qu'est devenue notre société. L'élève en question ne pouvait supporter que cet autre élève porte une imitation des "Yeezy" de Kanye West. Bref, cette marque de chaussures créée par ce monument du Rap et de la SWAG culture m'était complètement inconnue à cet instant. Témoignant de mon ignorance face à cette marque érigée au rang de religion, je manquais de me faire châtier sur la place publique par une centaine de coups de fouet verbaux faits d'insultes et autres quolibets. 
À la place, on me gratifia d'un gracieux "T'es conne t'y connais rien à la vie"
A l'écoute de ces mots je me demandais en quoi une simple imitation de chaussures valait un tel acharnement sur une personne. 
Est-ce un crime de ne pas avoir les moyens de  s'acheter un assemblage grotesque de coton,de mousse et de fil fabriqué par des enfants tenus en esclavage en Inde ou au Bangladesh et vendus comme un produit de luxe pour la coquette somme de 190€?
Est-ce un crime de ne pas connaître une marque de chaussures devenue un produit de consommation de masse et qui plus est sert de repère à tous les adolescents qui veulent se fondre dans la masse morbide des ados uniformisés?
Est-ce un crime de prôner une contre-culture car nous ne sommes pas satisfaits de la manière dont les marques nous instrumentalisent pour consommer, consommer et encore consommer de nouveaux produits inutiles, chers et dont le prix de production représente le dixième du prix de vente, si ce n'est moins?

Sincèrement, il y a des sujets encore plus importants que ce débat inutile et superflu concernant ces foutues Yeezy.
Des gens meurent chaque jour sous des bombes, le réchauffement climatique n'a jamais eu un rythme aussi rapide, 1% de la  population mondiale détiennent plus de richesses que les 99% restants... 
En somme , c'est juste ridicule de s'attarder sur ces sujets et en plus de causer une polémique de cette ampleur pour ce sujet ridiculement ridicule et insignifiant. 
Ce qui s'apparentait pour moi à une exhibition de criminels sur la place publique qui, en plus de leur châtiment initial devait répondre de leurs actes blasphématoires devant la foule, devait sûrement s'expliquer par l'intériorisation par tous des codes de la société de consommation. 
Depuis les Trente Glorieuses, la consommation de masse est devenue une norme. La quantité des produits, la multiplicité des achats, le miracle providentiel de la production, tout cela a érigé l'achat en religion, en but en soi. 
En lisant le livre de Jean Baudrillard, La Société de Consommation, on se rend compte de l'ingéniosité des marques pour nous transformer en machine à acheter. On créé des panoplies de produits qui sont interdépendantes pour motiver nos achats, on donne à chaque objet une symbolique métaphysique et spirituel pour nous apporter un semblant de contentement social, on mise sur l'amalgame des sens, culture devient profit, produits deviennent bonheur, et tous deviennent magie dans un monde où acheter signifie exister. Carrefour nous promet l'optimisme, Nike la rébellion, Dior promet l'extraversion aux introvertis, Garnier prend soin de vous, vous valez l'Oréal car vous êtes uniques... 
 La beauté de la vie, la joie, la passion, tout cela ne vaut plus rien car on peux l'acheter, le commander, on trouve notre bonheur actuel dans les rayons du supermarché entre la sauce tomate et le papier toilette. 
Nous ne sommes plus liés par des codes affectifs mais par des codes matériels ce qui montre la superficialité des relations humaines de nos jours. 
Porter des nouvelles baskets Supra ou Yeezy et vous serez admiré(e) le temps d'une journée par le microcosme lycéen. Venez avec un cabas Vuitton, et là si vous êtes la première, vous jouirez d'une gloire éternelle au sein des modestes murs du lycée. Porter une contrefaçon et vous serez à jamais charrié et vivrez dans une infortune perpétuelle. 
L'apparence est devenue primordiale dans ce monde à la limite de l'eugénisme où être différent devient un crime. On nous impose un conformisme, une uniformisation, on nous impose la consommation comme unique recours, comme unique alternative pour acquérir une once d'admiration. C'est comme cela que l'on sera respecté, que l'on se fera un nom, une réputation. La "frime" de l'enfance que l'on traquait comme des soldats de l'Inquisition s'est banalisée pour devenir l'unique source de louanges. On loue les fashionistas, les beaux, ceux qui se conforment avec respect à la sacro-sainte Eglise du Saint Consommateur en effectuant leur devoir d'adepte à cette quasi religion mortifère. "Achètes et tu seras, achètes et l'on t'admirera" chantent leurs psaumes délétères, devient mince, belle et jeune, ne parles pas trop car on pourra distinguer une intelligence devenues honte dans ce monde de consommation de masse.  

J'en ai peut-être écrit trop sur cet épisode d'apparence anodin mais ce sont ce type d’événement qui montre à quel point notre monde va mal aujourd’hui. 

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