Mon pire contrôle
Qui n'a jamais passé un contrôle qu'il regrettera tout au long de sa vie, un contrôle où juste après avoir rendu sa copie, on se rend compte de la connerie de nos erreurs et on a toutes les bonnes réponses qui réapparaissent miraculeusement dans notre tête? Voici mon expérience.
J'observe longuement ma feuille, elle est constellée de perles humides, c'est la sueur de mon front qui s'y est progressivement versée au fur et a mesure que mon état de panique s'accroissait. Alors que je fais l'impasse sur l'exercice 2, c'est toute ma vie qui défile, de mon année de cinquième où j'étais la cancre "pour qui travailler était impossible" à ma miraculeuse reconversion en "élève sérieuse et assidue". Avais-je effectué tout ce chemin pour que ce jour ci, mardi 19 avril, je rate royalement un examen de mathématique qui devait signifier mon salut? Je compte longuement, 5 points pour le premier, 5 points pour le troisième, j'ai au maximum un faiblard 10 sur 20. C'est la que je pense à mon dossier, que va dire Sciences Po? Je panique.
Mon désir de travailler était uniquement motivé par ma vocation de future sciences piste et jusque là je ne m'étais que très rarement posé des questions sur mes chances d'être admise, j'avais plusieurs options, un dossier assez convenable malgré mon petit 9 en sport et en plus j'apprenais des langues que personne n'apprend (le finnois, le tibétain et l'hébreu, ne me demandez pas pourquoi...)
Et là, à cause de probabilités et de dérivation et d'arbre pondéré et de second degré, c'est presque tout qui s'écroule, mon avenir et ma vie. Je regarde encore cette feuille avec mépris et là je me dis qu'en fait, "Sciences Po est une école de privilégiés, élitiste et ne formant pas à l'acquisition d'un esprit critique développé".
C'était mon excuse à chaque instant de ma vie où je sentais mon dessin d'entrée à Sciences Po menacé. Et fixant ma calculatrice affichant une addition que même un élève de CP aurait pu faire sans problèmes, en l'occurrence 4+4=8, je pense à cette école d'économie que je voulais faire, celle de Jean Tirole, qui demande "un excellent niveau de maths" et je me dis qu'après tout l'économie à la fac serait une alternative tout à fait convenable.
Je n'ai toujours rien écrit dans l'exercice deux, j'esquisse un arbre au hasard et je prie longuement pour que mon professeur de maths salue cet acte louable de bravoure, de courage et de persévérance en attribuant quelques points. Naïveté suprême.
Mon état de panique augmente soudainement lors du tintement de la première sonnerie. Deux heures sont déjà passées, deux heures où j'ai vu ma vie défiler devant mes yeux et où j'ai affligé à mon organisme le plus grand supplice qu'il ai pu vivre. Pour me donner bonne conscience, je rédige un tableau de probabilités à la va vite sous le regard médusé de mon professeur qui se tient devant moi avec un air réprobateur, je lui rend la copie et en sortant de la salle je me rend compte de toutes les erreurs que j'ai faites. Mon esprit s'affole, je marche rapidement jusqu'à la cafétéria en affichant de la déception et de la haine sur mon visage, je n'ai pas faim, tout ce dont j'ai envie c'est de lire tous les livres d'économie, de sociologie et de philosophie que je peux trouver, assister à toutes les conférences qui peuvent exister, l'an prochain mes deux premiers trimestres de terminale doivent être parfaits. Armée de mon cartable pesant huit kilos et qui attise les moqueries de mes camarades et de ma boule de cheveux frisés que j'ai récemment coupé "Pour me rapprocher de mes racines africaines et affirmer mon opposition aux diktats impérialistes de la mode imposant une image de la beauté totalitaire et infligeant à la femme des souffrances inouïes pour se conformer aux standards de beauté mondialisés" (Oh quelle jolie phrase j'ai faite), je me réfugie aux toilettes. Internet y capte, je consulte le Monde, envoies un petit "Je t'aime maman", et je lis une citation d'Edgar Morin, "L'intelligence c'est ce que mesurent les tests, mais aussi ce qui leur échappe" ce que ne mesurent pas les tests, c'est mon investissement, c'est le fait que je suis la seule de la classe à faire les exercices demandés, c'est mon attitude en classe. Mais tout cela, qui le verra à part moi?
Je replonges dans mon état de déprime disproportionné, sans mes notes, je n'ai rien, je n'ai pas d'avenir, je n'ai pas de métier, et je trouve cela profondément ridicule. Ce sont des chiffres, barbares, inhumains, qui décideront en partie de mon avenir. C'est triste, oui, mais c'est la vie.
PS: J'ai eu 7/20 à ce controle...
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