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Johann Heinrich Fussli |
"Pourquoi es tu toujours dans ton coin? Je veux dire seule et sans expression? Tu me fais vraiment de la peine quand je te vois toute seule".
Ces mots retentirent sur le coup dans mes oreilles comme une preuve irréfutable d'une tare incurable que j'aurais. Cette tare qui fait de moi un être asociale en proie à la pitié et à l'incompréhension des autres. Une tare qui donc supplante tout autre chose qui pourrait constituer mes traits de caractère et me catégorise aux yeux du monde comme étant cette fille, seule dans son coin et balbutiant dans sa timidité maladive. Ainsi, je me limite aux yeux de tout autre individu à une créature solitaire ne pouvant aborder quiconque et ne pouvant être abordée par quiconque. Un monstre emprisonné dans sa peur des autres et son exécration de la foule.
Le problème est que je ne suis ni asociale, ni dépressive,ni mal dans ma peau, ni même timide, je pourrai intervenir dans des amphithéâtres bondés ou encore participer à une représentation théâtrale.
Cette constatation pourrait être faite par n'importe quelle personne me connaissant vraiment. Ce que j'ai, et ce que toutes les autres personnes dans mon cas ont, est d'abord lié à une nature psychologique. Donc, c'est ainsi plus profond que cela ne transparaît.
La facilité est la seule option choisie par l'observateur vil et puéril pour critiquer et pseudo analyser notre manière d'être. Nous, et je parle au nom de tout celles et ceux qui vivent dans la même incompréhension, ne sommes pas très à l'aise avec une foule de personnes avec qui l'on ne partagera que des velléités puériles et sans intérêt.
On se sent seuls quand on est au milieu d'une foule nombreuse. Nous avons une personnalité qui privilégie le fait d'être seul aux conversations stériles. Nous pensons que la solitude est vectrice d'intelligence, de calme intérieur, c'est une sorte de catharsis salvatrice dans un monde où le contact social même faux est érigé au rang de but ultime.
Ils pourront dire que nous ne connaîtrons rien au monde avec ces moments de solitude, mais ils ont tord, car nous connaîtrons plus. Nous nous connaîtrons mieux et cela est ce qu'il y a de plus précieux. Nous serons plus aptes à nous comprendre et ces moments passés loin de la cacophonie et du bruit incessant des paroles vaines seront une sorte de méditation.
Hors de cette période de "retrouvailles intérieures", les rencontres avec les autres personnes ne paraîtront pas dénuées de sens, cependant nous serons confronté(e)s à un autre problème.
En effet, pour moi, il y a dans cela également une once de peur de l'inconnu. De fait, de nouvelles personnes, inconnues, seront synonymes d'impuissance pour nous. Nous ne serons pas aptes à converser de manière construite avec elles dans la mesure ou leur raisonnement, personnalité nous sont totalement inconnues. Ainsi, nous serons largués dans un milieu inhospitalier.
Et c'est cette peur de l'inconnu et de l'inexploré qui constitue un frein a de nouvelles rencontres quand bien même il y a besoin de socialisation. Même quand nous aurons l'envie de connaître plus de monde, de nous fondre en quelque sorte dans la masse, nous aurons l'impression d'être un poisson hors de l'eau. D'être une sorte d'alien incapable de s'accommoder à cet nouvel univers hostile et rude.
Par ailleurs, cette peur de l'inconnu ne fait qu'aggraver une timidité relative aux autres et constituant un frein dans l'établissement de nouvelles relations sociales. La solitude étant notre repère et notre environnement habituel, la peur de cet inconnu contribuera à accentuer une sensation de non adéquation avec les autres. Suis je vraiment faite pour ça? Vont ils m'accepter dans leur groupe? Serais-je assez bien pour eux? Toutes ces questions s'entrecroisent dans ma tête quand je vois un groupe d'ados devant moi et je peux vous affirmer que c'est extrêmement pesant et difficile de supporter ce jugement interne qui ne fait qu'enclencher un manque de confiance en soi. Rétrospectivement, j'ai tellement de fois culpabilisé de ne pas avoir abordé de potentiels amis, et d'être resté seule dans mon coin.
Cette culpabilisation est contre productive, elle souligne le fait que je suis différente des autres et accentue mon manque de confiance en moi. Si cet individu ne m'avait pas stigmatisé explicitement ce jour là, je serai peut-être venue de moi-même pour leur parler, mais il m'a culpabilisé et stigmatisé.
C'est un véritable cercle vicieux que l'on doit enrayer en acceptant notre nature, en la respectant et en l'affirmant. C'est essentiel pour regagner confiance en nous.
Tous les psychologues ou psychanalystes pourraient critiquer mon analyse des choses, cependant, nous ne répondons pas à des normes préétablies par je ne sais quel DSM controversé, nous ne sommes pas une série de symptômes ordonnés et sans âme. Nous sommes tous différents et on ne peux nous catégoriser comme étant tel type de personne ou tel autre. Ce que j'écris là est ce que je vis, ce que je ressens, et tellement de lecteurs me disent qu'ils s'identifient à ce que j'écris et que jamais ils n'auraient penser que nous étions si nombreux dans le même cas. Mais nous sommes nombreux et j'espère mettre des mots sur nos sentiments que nous pensions tous garder à jamais au fond de nous.
"Je puis penser, causer avec moi, ce sont mes seuls moments de grand silence.
Je ne suis pas distrait par le bruit de la foule où ma timidité m'isole"
Jules Vallès